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Reporters sans frontières (RSF) dénonce le harcèlement judiciaire dont font l’objet deux journalistes d’investigation bulgares et appelle le nouveau gouvernement à adopter une législation à même de protéger les journalistes face aux procédures-bâillons.
La rédactrice en chef du site d’information indépendant Mediapool, Stoyana Georgieva, ainsi qu’un journaliste qui travaillait anciennement pour ce média, Boris Mitov ont été condamnés juste avant Noël par le tribunal de Sofia à s’acquitter conjointement d’une somme de 67 000 leva (environ 34 000 euros). Ce montant exorbitant leur a été réclamé pour avoir publié en février 2018 quatre articles contenant des “allégations diffamatoires” à l’encontre de l’ex-président dudit tribunal, Svetlin Mihailov alors que celui-ci postulait pour un second mandat. Pourtant, selon les avocats des journalistes mis en cause, les articles en question, qui évoquent la fortune considérable de Mihailov ou encore certains de ses verdicts controversés, ne font que mentionner plusieurs enquêtes déjà connues du grand public, qui n’ont jamais été démenties. Les journalistes ont, depuis, fait appel de cette décision.
D’autres éléments conduisent à douter de l’impartialité de la juge chargée de l’affaire, Daniela Popova. Celle-ci a en effet repris le dossier deux mois seulement avant de statuer, succédant à une magistrate qui avait déjà connaissance du dossier depuis près d’un an. Une décision qui semble avoir été prise dans la hâte et qui ne fait nullement mention du fait que le plaignant soit une figure publique, de surcroît l’ancien président du tribunal. Popova n’y précise pas quels extraits des articles en question elle juge “indécents, vulgaires et cyniques” et a refusé de commenter toutes les objections de la défense, qu’elle a systématiquement rejetées lors du procès. Enfin, il apparaît que cette dernière a été élue présidente de l’Association des juges bulgares (BAS) en juillet 2021, une organisation proche du pouvoir dont est justement membre Svetlin Mihailov. Ces éléments, troublants, laissent envisager que les intérêts personnels du plaignant ont été privilégiés par rapport à la liberté d’expression des reporters de Mediapool.
“Ce verdict-bâillon peut créer un dangereux précédent pour la liberté de la presse en Bulgarie, alerte le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai. Le montant disproportionné des dommages et intérêts réclamés aux journalistes peut avoir un effet dissuasif sur les médias qui couvrent les sujets d’intérêt général. RSF exhorte la Cour d’appel de Sofia à annuler la décision de première instance. En parallèle, nous appelons le gouvernement à prendre des dispositions concrètes pour que les procédures judiciaires abusives ne puissent plus museler la liberté de la presse dans le pays.”
Plus tôt en décembre, une plainte pour diffamation avait été déposée par la compagnie d’investissement Eurohold contre le journal d’investigation numérique Bivol, qui avait enquêté à plusieurs reprises sur ses méthodes de financement controversées, en particulier lors de la conclusion d’un accord avec une grande entreprise de distribution d’électricité bulgare. L’enquête n’en est qu’à ses débuts mais le faramineux montant des dommages et intérêts demandés - l’équivalent de 500 000 euros - représenterait une menace existentielle pour Bivol si le journal devait être condamné. Alexander Kashumov, avocat du média, affirme qu’il s’agit d’une somme sans précédent par rapport aux normes bulgares, créant “des conditions de censure”, en contradiction complète avec les “standards établis en Europe en matière de liberté d’expression”.
RSF exhorte la nouvelle coalition, au pouvoir depuis décembre 2021, à contrecarrer le recours fréquent aux procédures-bâillons, ou SLAPPs (Strategic Lawsuit Against Public Participation), qui visent à limiter la liberté d’expression en entraînant des médias ou des particuliers dans des procédures coûteuses dont ils ne peuvent en général assumer les frais. Le gouvernement doit se saisir des recommandations concrètes formulées par RSF en mars 2021 pour protéger la liberté de la presse en Bulgarie, en encourageant par exemple citoyens, entrepreneurs et autorités publiques à soumettre leurs recours à la Commission éthique des médias du pays, de façon à créer une alternative efficace aux plaintes pour diffamation qui servent souvent d’alibi aux procédures-bâillon. Par ailleurs, RSF préconise au gouvernement bulgare d'œuvrer afin qu’une législation nationale et européenne forte soit adoptée pour compléter ces recommandations et ainsi protéger les journalistes contre les SLAPPs.