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Qui es-tu?

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Chaque fin d'année, un ami, Jean-Marie Kreusch, rédige un conte poétique et humaniste que j'apprécie énormément. Voici le dernier qu'il m'a envoyé, je ne peux m'empêcher de le partager avec vous. Ce texte, tout d'abord mélancolique se termine plein d'espoir. Je vous souhaite à tous que ces quelques lignes, tout comme à moi, vous fassent profondément réfléchir à ... LA VIE.

"Et si elles m’emmenaient vers nulle part ?

Engouffrant ma conscience dans les abîmes du néant, mes pensées m’emprisonnaient dans l’infini d’un doute permanent là où me conduisaient, j’en étais persuadé, la raison et mon destin.

L’œil hagard je me demandais si tout cela avait encore un sens. Ravin de l’absurde. Mais, qu’est-ce qui avait du sens ?

 

Les couleurs de l’hiver, disputant la place et le ciel à un automne résilient, taquinaient les flaques d’eau, s’y reluisant dans un jeu de dupe entre réel, probable et fiction. Miroir d’un reflet voulu. Mirage d’une réalité subie aux intentions invisibles. Abysse troublant de la fugacité d’un instant.

 

Au lointain un avion traversait le ciel. Sans bruit. En tout cas je ne le percevais pas. Sonorité enfouie dans les innombrables grottes qui trouaient la montagne, ouvrant sur des labyrinthes qui se perdaient en de multiples deltas jusqu’aux entrailles de la terre.

 

J’observais le va-et-vient de quelques personnages, tous semblables, aux tenues tristes et aux visages invisibles. Ils portaient des pierres de toutes tailles et s’activaient de tous côtés voulant, tels des fournis travailleuses, s’en libérer et trouver au plus vite l’endroit pour s’en débarrasser et les jeter afin de combler de multiples trous, grands et petits qui se présentaient sur leur chemin. On eut dit qu’ils avaient accompli ce geste toute leur existence tant ils étaient adroits à découvrir, chaque fois, la pierre qui correspondait au bon trou, comme pour éliminer l’angoisse d’une crevasse quelconque qui les aurait fait trébucher dans leur parcours. Il fallait impérativement reboucher chaque creux, encore et encore. Condition sine qua non pour continuer à marcher sans être envahi par l’anxiété. Ils répondaient ainsi aux vertiges de l’inconnu qu’ils ne pouvaient supporter. Ici, tout fossé devait être comblé et toute question trouver réponse quelle qu’elle soit... sans doute. Chaque trou devait être rempli. Chaque mystère être éclairci.

 

Un homme, les épaules en avant pour rechercher un peu de la chaleur d’une écharpe légère maladroitement nouée sous un manteau au col mal fermé, promenait son chien couvert lui d’une fine cape de laine tricotée. La laisse était tendue, le quadrupède voulait retourner près de la cheminée pour retrouver la chaleur du feu et la lumière des flammes.

 

Quelques bogues de marrons tombaient çà et là. Eclatées, parfois, elles présentaient leurs fruits.

 

L’hiver s’imposait. Et avec lui l’an neuf.

L’heure était venue, le temps des mutations après celui des saisons, attente d’une autre humanité enfin capable de se décarcasser, de se libérer de son écorce, de naitre à nouveau. Moments des changements et des libérations, de l’année, de la vie, de l’homme. Focus sur les avant et les après que l’on ne voit que filer sans jamais occuper le présent. Espoir de renaissance, de l’homme nouveau. Debout.

 

L’homme à l’écharpe shoota dans un caillou, la petite constellation de minéraux rebondit avant de se loger sur la voûte céleste y devenant étoile.

Le ciel déchira le rideau du temps laissant entrevoir quelques rayons radieux, ceux auxquels je n’aspirais plus, ceux de ma mémoire, du temps passé qui rendait chaleureuse l’époque des retrouvailles.

 

Je me souvins de l’arc-en-ciel qu’un jour j’avais peint. Nostalgie.

 

L’homme poursuivait son chemin. Je l’observais toujours à défaut de ressentir ma propre existence.

J’avais l’impression d’être absent de ma vie.

Comme effacé. Eteint.

Dépouillé d’envie. L’esprit vagabond. Sans domicile fixe.

Était-ce bien moi dans ce corps privé d’esprit ?

 

Paradoxalement sans soleil, les ombres se déplaçaient libres de toute contrainte. Elles étaient seules, sans maître, et vivaient leur propre vie. Tout ça était étrange. Un monde questionnant. Y avais-je ma place ?

 

Etais-je pareil à ce personnage qui venait de relever l’encolure de son manteau tout en resserrant le nœud de son écharpe. Sans le savoir me trouvais-je comme lui dans cette file, maintenant constituée de nombreux individus, dont on ne percevait si elle était d’ombre ou de lumière.

 

Il avançait prisonnier d’un mouvement qu’il ne maitrisait pas, surfant entre les précipices. Je le regardais partir. Je pensais qu’il ne m’avait pas vu le suivre du regard depuis tout ce temps.

Il se retourna. Me fixa dans les yeux et quitta le rang, semblant me dire en me tendant la main «Reste avec moi s’il-vous-plait, reste avec moi... »

Il était temps de partir et de quitter cet univers, noir pour moi, devenu sombre et impropre à ma destinée.

 

Une colonne d’enfants, tous vêtus de blanc, s’éloignait maintenant rejoignant un infini aux couleurs d’espoirs.

Sans doute au bout de cette longue marche, qui suivait la courbe tracée par l’écorce terrestre, l’un ou l’autre des enfants grandirait-il en moi. Je ne savais pas. Je ne savais plus.

Et la lancinante question revenait : où était le sens ? Était-il dans cette rencontre, en ce geste de cette main qui se tendait vers moi malgré l’écart qui grandissait en nous séparant de plus en plus, loin de l’autre, lui de moi.

 

C’est à ce moment qu’à mon tour je me sentis observé. Sur le bord du chemin un homme d’un âge dont on ne compte plus les années arborait une belle barbe blanche. Il me sourit. « Je suis là pour toi » dit-il avant de poursuivre « tu te questionnes. Ne t’en fais plus » ajoutant « tu viens de le découvrir, tout est en toi. »

 

Il me répéta une nouvelle fois « Oui, tout est en toi. Tu possèdes les semis de trois cent soixante-cinq nouveaux jours, ils seront différents de ceux de l’année passée, mais ils t’appartiennent et sont uniques. Tu peux aussi les partager avec ceux que tu aimes. »

 

J’étais seul. C’était bien à moi qu’il s’était adressé. Privilège. Je me sentis léger. Je ne connaissais plus mon âge, ni d’où je venais, mais je riais. Et oui, cela n’avait pas d’importance.

 

Alors que la neige avait maintenant recouvert tout le paysage en y effaçant les aspérités qui blessent tout en blanchissant mes pensées de leurs noirceurs profondes, quelques flocons redoublèrent d’efforts pour me glacer de bonheur.

 

Le froid était là.

 

Je glissais les mains dans mes poches et y caressais les semis de ma vie.

 

Sous mes pas je devinais des sillons..."

 

 

 

Bonne Année

 

Jean-Marie Kreusch

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