Une étude inédite menée au Lema, le centre de recherche en urbanisme à l’ULiège, vient de sortir. Elle porte sur l’attractivité commerciale suscitée par la présence d’une mosquée dans un quartier et tous les changements que cela induit.
Trois urbanistes chercheurs, Mohamed El Boujjoufi et Jacques Teller de l’ULiège et Ahmed Mustafa de la New School de New York, ont voulu comprendre comment se créent ces écosystèmes qui sont visibles autour des mosquées et ils ont pris comme cas d’étude la Ville de Liège qu’ils connaissent bien.
« Liège est un bel exemple, explique le chercheur en sociologie urbaine Mohamed El Boujjoufi. Au début des années 70, les immigrés musulmans se sont d’abord installés à proximité de leur lieu de travail (charbonnages, sidérurgie) et les premières mosquées sont apparues au sein même de leurs quartiers. Or aujourd’hui, on s’aperçoit que ce n’est plus le cas. Les Musulmans habitent désormais un peu partout en ville et en périphérie, mais ils continuent à fréquenter la mosquée et à privilégier les commerces qui se sont installés tout autour. »
1185 commerces
Pour prouver scientifiquement la conclusion à laquelle il est arrivé, Mohamed El Boujjoufi a pris pour échantillon les 13 mosquées reconnues sur le territoire liégeois (10 maghrébines, 2 turques et 1 subsaharienne) et il a recensé tous les commerces islamiques situés dans un rayon d’un kilomètre autour d’elles.
« Le recensement a été réalisé de janvier à mars 2019 et il a permis de comptabiliser 1185 commerces dont les exploitants et/ou les clients et les produits proposés sont musulmans ou d’origine musulmane. »
Et il les détaille : 396 font partie du secteur Horeca, 370 proposent des produits légers (vêtements, décoration, hygiène…), 261 de la nourriture, 121 des produits plus lourds (meubles, bricolage…) et 38 émanent du secteur des services. « Dans la rue du Moulin à Bressoux ou rue Puits-en-Sock en Outremeuse par exemple, on voit bien la concentration de ces commerces ethniques, ajoute-t-il, malgré que les mosquées y soient plutôt discrètes. »
Il a ensuite comparé cet échantillon avec les quartiers des Guillemins et de Sainte-Walburge où l’on trouve des commerces islamiques mais pas de mosquées. « Et on constate bien que la concentration y est moins forte. »
Et le nombre d’habitants
Enfin, il a aussi croisé ces données avec les endroits où habitent les Musulmans de Liège. « Vu que seules les nationalités sont répertoriées officiellement dans les registres (pas les origines, ni la religion), j’ai dû me contenter de ce seul critère. Mais ces pays présentent un très haut taux de Musulmans (plus de 96 %). Et il faudra aussi tenir compte des Musulmans qui se sont naturalisés et qui ne sont pas répertoriés ici. »
Ce sont les Marocains qui arrivaient en tête à Liège en 2013 (3757), suivis des Turcs (1239), des Algériens (685), des Tunisiens (471) et des Irakiens (382). « On s’aperçoit qu’ils n’habitent plus comme avant dans les quartiers où se trouvent les mosquées, reprend le chercheur. Par contre, ils continuent à s’y rendre pour aller prier et ils en profitent pour organiser leur journée afin d’y acheter de la nourriture, d’aller chez le coiffeur, de manger ou prendre un thé avec des amis dans ces sortes de galerie commerçante à ciel ouvert. »
Un phare
Pour lui, il est clair que « la mosquée devient un phare, un élément structurant dans l’espace urbain ». Elle exerce en effet une puissante influence sur l’emplacement des magasins islamiques, davantage que sur les lieux d’habitation de la population musulmane.
Et avec toutes les conséquences qui en découlent, au niveau de la valeur de l’immobilier, de la mobilité et de l’intégration pour ne citer que ceux-là. (Texte Luc Gochel - Photos Pierre Neufcour)