Le jour du centenaire de la destruction de Visé, et du massacre et la déportation de nombreux habitants, fut célébré avec dignité et respect.
C'est en présence du Dr Eckart Cuntz, Ambassadeur d'Allemagne, de Monsieur Berger, Consul général de France, de nombreuses personnalités politiques tant provinciales que locales ou de communes voisines, des trois Gildes et des représentants des associations patriotiques que fut inaugurée la sculpture "L'arbre d'orientation" place des Déportés. Une foule nombreuse avait également tenu à assister à cette manifestation d'hommage et de souvenir.
Deux jeunes Visétois rappelèrent d'abord le déroulement de ces actes de barbaries et rappelèrent les circonstances de la mort de 42 victimes.
"Ce samedi 15 août 1914, nous brûlons, notre ville est incendiée, nos habitants sont agressés.
Le mois d’août 1914 avait bien débuté. 15 jours plus tôt, les élèves avaient eu leur remise de prix et les vacances avaient commencé. Visé accueillait encore des touristes venus goûter l’air frais de la ville ainsi que jouir des joies de la régate sur la Meuse et de la bonne chère dans nos restaurants.
Mais bien vite, ce petit monde tranquille s'était écroulé par la spirale des relations internationales. Les hommes avaient été appelés sous les drapeaux de l’armée et des jeunes soldats, des Piou-Piou, comme on les appelait, du 12e de ligne étaient venus de tous les coins de la Belgique pour tenir la défense du pont de Visé. Durant la nuit du 3 au 4 août, l'explosion dudit pont n’avait rien annoncé de bon.
Le 4 août 1914, les armées ennemies franchissaient la frontière, violant la neutralité de la Belgique, et fondaient sur Visé pour y franchir la Meuse. Visé connaissaient les premières fusillades de la guerre, à la mi-journée. En rive droite, cinq gendarmes se défendaient héroïquement. Deux y trouvèrent la mort. En rive gauche l’armée belge repoussait, pendant 4 heures, les assauts de la 34e brigade allemande, laissant sur le pavé deux jeunes fantassins .
21 civils innocents furent alors massacrés par l'ennemi, par vengeance. « On ne peut résister impunément à l’armée impériale allemande ». Davantage encore : 26 habitants de la rue de la Station furent emmenés en otages vers Berneau. Seuls 9 devaient en réchapper. Et ce fort de Pontisse qui régulièrement bombardait la ville et augmentait encore l’hostilité des troupes ennemies !
Le matin du 6 août, la Bataille de Liège était un échec durement ressenti par les assaillants et des dizaines de civils avaient subi le dépit de ces troupes qui ne parvenaient pas à vaincre les petits Belges . Les civils visétois, qui avaient obéi à toutes les sollicitations des envahisseurs, voyaient leurs provisions pillées et leurs maisons squattées.
Dès le 10 août, les objectifs militaires allemands consistaient à réduire au silence les forts et une nouvelle artillerie était déployée. D’Allemagne, plusieurs dizaines de milliers de soldats étaient appelés en renforts et le pont provisoire établi à Navagne voyait défiler toute cette armada qui continuait vers Tongres et Anvers.
Le lundi 10 août, l'église collégiale brûlait sous un prétexte fallacieux. N'était-ce pas inquiétant ? D'autant plus que des soldats allemands avaient annoncé à des Visétois médusés que le pire n’était pas encore arrivé. Que nous réservait-on ?
Et nous voici le samedi 15 août 1914.
Oui, nous avons mal dormi cette nuit. C’était l’Assomption, un jour de fête pourtant mais combien angoissant. L’atmosphère était lourde. De nouvelles troupes étaient annoncées. Elles venaient de l’est de l’Empire. Étaient-elles harassées ?. A quoi les destinait-on ?
Oui, les Visétois ont mal dormi cette nuit, avec l’anxiété au ventre. Ils ont dû laisser portes et fenêtres ouvertes et se mettre ainsi à la merci de la soldatesque.
Puis un coup de feu, peu après 21 h., puis des fusillades dans plusieurs rues « MAN HAT GESCHOSSEN » On a tiré…….. Les occupants allemands sont nerveux et ils attribuent ce coup de feu à un franc-tireur qui leur tirerait dans le dos. Ils s'engagent dans de terribles représailles non justifiées. Des habitants sortis violemment de leur maison sont conduits place de la Gare. Femmes, enfants, vieillards rassemblés tel un troupeau qu’on mène à l’abattoir. Et puis Désiré DUCHESNE qu’on amène …..et qui est exécuté à l’aube.
D’après les troupes allemandes, il serait le chef des Francs-Tireurs. Mais avec quelles armes aurait-on pu tirer ? Nous ne comprenons rien !
Et puis le centre ville est incendié, systématiquement, rationnellement, non sans avoir été pillé. Souvenirs, archives, tout ce qu’on a bâti part en fumée. 575 maisons inhabitables.
Dimanche 16 août, nos frères, nos pères sont emmenés ? Pourquoi ? Pour où ?. Ils seraient 631. Visé devient une ville martyre, la première et nos déportés sont les premiers civils à partir en déportation pour l’Empire allemand…..Les reverra-on ?
Souvenons-nous de ce 15 août, funeste journée.
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- LES 42 CIVILS MARTYRS DE VISE
Tués le mardi 4 août 1914
Vers 13 h.
Joseph Brouha 69 ans et son fils Julien 39 ans , rue de la Fontaine
Jean-Lambert Tychon 50 ans et Jean Fafra, rue du Pont
Louis Leroy 52 ans et Jean Kinable, 31 ans rue des Récollets
André Puts 66 ans, rue des Francs Arquebusiers
Hubert Peinte 49 ans et François Frenay 51 ans au Boulevard des Arbalétriers
Pierre Halkein la soixantaine et Pierre Geurten 67 ans à la Ferme du Temple
Jean Maquet 45 ans au pont de Visé
Jean-Gilles Charlier 60 ans à l’hospice de Visé
Jean-Pierre Bohet 22 ans, Léon Vincent 30 ans et Georges Van Hoorenbeke 23 ans à Navagne
- A d’autres heures de la journée du 4 août
Antoine Cabanelle 59 ans à Souvré
Jean Ernoux 62 ans rue de Berneau
Le fils Bisschof 30 ans, fusillé à Fouron-le-Comte
François Leers 83 ans à Britchembau
Hadelin Boulanger 36 ans au Transvaal
- Le 5 août, un groupe de 26 otages fut conduit à Berneau.
17 y trouvèrent la mort
Bernard Boulanger 47 ans
Jean Brouha, 66 ans et son fils Pierre 33 ans
Honoré Cosme 49 ans et son fils Maurice 18 ans
François Job 53 ans et son fils Hubert 24 ans
Octave Lecarme 49 ans et son fils Jean-Henri 24 ans
Ainsi que Pierre Leers 49 ans et Michel Leroy 68 ans
Victor Michiels 45 ans
Les deux frères Pinckaers, Constant 23 ans et Léon 25 ans
Léonard Rion 36 ans
Lucien Ruwet 22 ans
Léonard Vanderlinden 24 ans
Le 6 août, faisant partie d’un autre groupe d’otages, François Glaude 67 ans, pendu à Mouland
- Le 15 août, Henri Roujob 39 ans ,blessé mortellement et mort le 18
Le 16 août à l’aube, Désiré Duchesne, 65 ans, exécuté place de la Gare
Jean-Pierre Wisimus 75 ans mort le 18 août
- Depuis la fusion des communes, la Ville de Visé englobe aussi les villages de Cheratte, Argenteau, Richelle, Lixhe et Lanaye.
Dans ces villages-là, il y a aussi eu de terribles exactions.
A Lixhe, le 6 août, Nicolas Demaret et Eugène Colson fusillés
Le 7 août, nous avons la relation abominable d'un massacre familial : Emile DEMOOR, 49 ans, et ses fils Aimé, 20 ans, et Albert, 14 ans, tous trois civils, ont été faits prisonniers par les Allemands, le 7 août et froidement exécutés. Le père a été repêché à Eisjden. Albert n'a pas été retrouvé. Aimé a été repêché à Maastricht avec une corde au cou et deux coups de baïonnettes. Pourquoi ?
Venant de Wonck, M.Roebroek 28 ans, Partouns 40 ans et Noël traînés par des chevaux avant d’être fusillés à Lixhe.
Sont aussi renseignés comme civils martyrs lixhois
J. CHARPENTIER
Henri PLIERS
L.FONTAINE
B) De Richelle, cinq civils furent arrêtés le 6 août comme francs-tireurs
Guillaume Fafra 56 ans mourut en arrivant à Aix le 7 août
Guillaume Akens 55 ans,
Henri Fafra 22 ans,
Cornélis Monix 49 ans
Jean Trinon 49 ans
Ils furent exécutés le 11 août au fort de Forst près d’Aix
- PARMI LES 631 CIVILS DEPORTES DANS LES CAMPS ALLEMANDS
7 N’EN SONT PAS REVENUS
Morts au camp de Munster près de Hanovre
Alphonse Bido 61 ans
Urbain Dodémont 64 ans
Eugène Labeye 64 ans
Jean Lambricht 68 ans
Théodore Vilour 69 ans
Morts au camp de Celle près de Hanovre
Joseph Douin 47 ans
Eugène Jowat 49 ans
Le Bourgmestre, Marcel Neven prend ensuite la parole :
"Pour la 2ème fois en moins de 15 jours, nous sommes réunis pour commémorer le centième anniversaire d'événements tragiques survenus il y a 100 ans lors du début de la guerre 1914-1918.
Le 4 août, 100 ans jour pour jour après l'envahissement de la Belgique dont la neutralité était pourtant garantie et même imposée par les grandes puissances, nous avons rendu hommage aux deux premiers gendarmes Jean-Pierre Thill et Auguste Bouko tués là où plus tard fut aménagée la place Reine Astrid et aux 2 premiers fantassins Louis Maulus et Prosper Van Gastel tués à Devant-le-Pont. Ces 4 victimes furent avec le Cavalier Fonck, les 5 premières victimes militaires belges.
Dès l'arrivée des troupes allemandes, plusieurs Visétois, et vous venez d'en entendre les noms, furent exécutés.
Mais c'est le 15 août que notre ville subit les dommages les plus importants qui en firent la 1ère ville martyre.
On qualifie en effet de martyres les villes qui furent détruites par les envahisseurs qui les occupaient déjà et donc sans objectif militaire, je dirais gratuitement. Conscients du côté abject de leurs actions, les Allemands prétendirent qu'ils sévissaient contre les francs tireurs, argument tout à fait fallacieux et dont les historiens démontrèrent la nullité!
Il faut ajouter que les Allemands avaient très mauvaise conscience. Je viens de l'évoquer, sous l'influence de leurs stratèges, ne venaient-ils pas de bafouer la neutralité de notre pays?
En fait, 7 villes belges flamandes et wallonnes ont subi le même sort. Elles reçurent donc la dénomination de villes martyres. Depuis plusieurs années, leurs bourgmestres se réunissent régulièrement pour préparer la commémoration de ces tristes événements; il s'agit de Dinant, Tamines (Sambreville), Andenne et Visé du côté francophone et Aarschot, Dendermonde et Louvain du côté néerlandophone et je veux souligner que la première initiative est le fait du bourgmestre de cette ville, Monsieur Louis Tobback.
Au-delà de la folie destructrice, y-a-t-il une raison pour laquelle l'envahisseur a décidé de s'en prendre à des civils innocents? Certes, les Allemands avaient piétiné à Liège ce qui eut pour conséquence qu'ils perdirent la bataille de la Marne et finalement la guerre (c'est d'ailleurs l'avis de Winston Churchill et aussi du général en chef allemand, Van Molkte).
Mais on peut aussi, et nous sommes quelques uns à le penser, imaginer qu'il y avait une volonté de miner le moral des troupes qui apprenant le sort réservé à leurs familles ou à leurs proches, pourraient perdre de leur combativité. Cette stratégie scandaleuse a été utilisée à de nombreuses reprises depuis cette époque et a rendu les conflits encore beaucoup plus sanguinaires.
La destruction de Visé (575 maisons, la Collégiale dès le 10 août, l'Hôtel de Ville du XVIIème ...) à l'exception des quartiers de Souvré et de Devant-le-Pont fut probablement la plus importante subie par une ville martyre mais le carnage fut encore bien plus grave dans la plupart des autres villes et particulièrement à Dinant où l'on dénombra 674 victimes.
C'était donc un devoir pour la Ville de Visé et ses habitants de commémorer à la fois l'incendie de leur ville martyre et ce qui fut appelé la quinzaine tragique.
Au cours de celle-ci, 42 visétois périrent auxquels devraient être ajoutés des victimes de Richelle (5 habitants furent fusillés à Aix-la-Chapelle) et de Lixhe (des riverains morts furent retrouvés aux Pays-Bas) qui depuis la fusion des communes font partie du grand Visé. Mais il ne faut pas oublier les déportés dont 7 ne revinrent jamais.
Le jour de l'incendie, Monsieur Désiré Joseph Duchesne fut fusillé ici même après avoir été condamné de manière tout à fait arbitraire. Nous avons décidé de commémorer cette exécution honteuse en faisant ériger ce monument.
Quelques recherches généalogiques nous ont permis de retrouver un certain nombre des membres de sa famille: plus que nous l'avions pensé. Nous les avons invités et nous les en remercions chaleureusement, plusieurs ont pu être présents.
Au-delà de sa mort déplorable, l'assassinat de Monsieur Duchesne revêt un caractère symbolique. Ce monument est aussi dédié à l'ensemble des victimes des troupes du Keizer. Dès lors, il nous a paru indispensable de l'ériger en cette année du 100ème anniversaire.
Je voudrais en profiter pour féliciter Monsieur Serge GANGOLF, l'artiste qui a sculpté cette oeuvre et rappeler que du temps de sa jeunesse, mon prédécesseur, Monsieur Dessart avait déjà fait appel à lui pour la réalisation du monument proche de l'Hôtel de Ville. Madame Dessart, échevine de la culture, vient de vous donner des explications concernant son esthétique et son sens profond.
Je tiens particulièrement à remercier les 3 gildes visétoises qui ont tenu dès le début de la préparation de cette journée à s'associer à nos travaux. Je les en remercie et je salue bien entendu leur présence. Elle contribue à ajouter une connotation culturelle à notre commémoration.
Je tiens aussi à remercier l'archéologue de la Ville, Jean-Pierre Lensen pour sa participation à l'ouvrage réalisé par les 7 villes martyres qui, je l'espère, connaîtra un grand succès: il importe que l'on sache. Je le remercie également pour la réalisation du parcours « Le parcours mémoriel de la quinzaine tragique » qui permet de mieux situer les endroits de notre Ville où des événements tragiques se sont déroulés. Je tiens aussi à remercier les associations d'anciens combattants et particulièrement les porte-drapeaux et les paras qui,lors de chacune des manifestations patriotiques à Visé, perpétuent le souvenir de nos héros.
Les guerres ont-elles un sens? Bien entendu non. Pour galvaniser les troupes on leur avait seriné qu'il s'agissait de la « der des der ». Appellation bien ironique lorsque l'on sait qu'à peine 20 ans plus tard tout recommençait. Pourtant, comme je l'ai rappelé dans mon allocution du 4 août des politiques pacifistes, tels Aristide Briand et Gustav Stresemann, premiers ministres français et allemand, ont tout fait pour que la paix s'impose partout dans le monde mais leurs tentatives finirent par échouer.
Et ce fut le 2ème guerre mondiale plus désastreuse encore que la 1ère.
Toutefois, elle fut suivie de la construction européenne et, 6 pays d'abord puis 28 aujourd'hui s'associèrent: réalisation trop lente diront certains mais elle a eu l'énorme avantage de garantir la paix entre des pays qui n'avaient cessé depuis des siècles de s'entre déchirer.
En fait, jamais depuis la « pax romana » une paix d'une telle durée du moins dans cette partie du monde n'avait régné.
Nos ennemis des deux guerres mondiales furent les Allemands. Bien sûr, il est difficile d'oublier et même de pardonner. Toutefois, depuis déjà plusieurs décades, ils sont devenus nos amis et nous assistons partout en Europe à des cérémonies où la commémoration est commune.
Je remercie Monsieur l'Ambassadeur de sa présence et de la participation de son pays à ce monument. Il paraissait impossible naguère de nous réunir dans une fraternité partagée et pourtant, c'est la réalité du 21ème siècle et nous en sommes heureux, même si nous ne pouvons nous empêcher de penser à nos aïeux.
Outre la réalisation de ce monument, il nous est apparu nécessaire de commémorer cet anniversaire tragique de manière quelque peu originale.
Lors de nos réunions préparatoires, deux Arbalétriers, déjà rompus aux réalisations théâtrales ont proposé de mettre sur pied un spectacle « son et lumière » commémorant ces tristes événements. La région wallonne nous a accordé pour cette réalisation un subside important. Dès la tombée de la nuit (vers 22 heures) il sera offert au public sur la Grand place de Visé.
Je le découvrirai avec vous et je suis sûr que nous ne serons pas déçus.
Ma conclusion est que ces événements ne doivent pas tomber dans l'oubli.
Il faut dire et redire ce qui s'est produit. D'une part, les victimes le méritent, c'est un hommage qui leur est dû. D'autre part, il faut que les jeunes générations soient conscientes de la chance qu'il ont de vivre à une époque pacifique du moins en Europe occidentale et qu'elles soient convaincues que tout devra être fait pour que de tels carnages ne se reproduisent jamais. Et les membres de ce qui fut appelé « triple alliance » et « triple entente » participent désormais solidairement à cet effort.
J'espère donc que c'est pour toujours que la paix règne dans nos contrées."
Les représentants de la France et de l'Allemagne tinrent eux aussi à évoquer cette terrible période, le Docteur Cuntz, Ambassadeur d'Allemagne, fit état de la gène qu'il ressentait personnellement en pensant que ces atrocités avaient été commises par des citoyens de son pays.
Le monument et la stèle furent ensuite abondamment fleuris par toutes les délégations présentes.
Photos : © P. et V. Neufcour